L’approche personnalisée rend de nombreux médicaments superflus

Interview avec Marianne Manchester Young, F. Hoffmann-La Roche.

(lh) Depuis plusieurs années, votre recherche porte sur le domaine de la médecine personnalisée. Comment l’expliqueriez-vous à des profanes?
(Marianne Manchester Young) Nous réagissons tous différemment aux médicaments. Autrefois, les médicaments étaient développés pour traiter avec succès le «patient moyen». Mais comme ce «patient moyen» n’existe pas vraiment, nous travaillons sur la possibilité de développer des médicaments sur mesure.

Chez Roche, les deux divisions Pharma et Diagnostics collaborent étroitement dans le domaine de la médecine personnalisée. Pourquoi?
Le diagnostic nous permet de mieux comprendre la maladie et sa mesurabilité. Nous pouvons exploiter ces connaissances dans la pharmacie et observer précisément les effets déclenchés par nos médicaments. Nous souhaitons par exemple savoir ce que sont les biomarqueurs et sur quels patients avec quelles propriétés biologiques nos médicaments fonctionnent le mieux. 

«Les patients nous aident volontairement à comprendre
encore davantage les maladies et les effets des médicaments.»

L’application de la médecine personnalisée est encore limitée actuellement. Quels sont les défis?
Le premier relève de la biologie. Nous comprenons déjà très bien comment le «patient moyen» avec une variation génétique donnée métabolise les médicaments. Pour un traitement optimal, nous devons aussi nous pencher intensivement sur la maladie concernée, car toutes les tumeurs ne se ressemblent pas. 

Des questions juridiques se posent également: les patients sont-ils à l’aise avec l’analyse de leurs gènes? Que sauront à l’avenir les assurances sur nous et notre patrimoine génétique? Nombreux sont ceux qui, à juste titre, font encore preuve de prudence dans la mise à disposition de leurs données.

Comment maîtriser ce numéro d’équilibriste entre la disponibilité des données et la protection de notre sphère privée?
J’ai moi-même fait décoder mes gènes et suis contente d’avoir obtenu ces informations. Je suis convaincue que cette décision revient à chaque personne. Une obligation à fournir des informations médicales serait à mon avis mal venue. Dans nos études, nous recevons des données génétiques. Les patients nous aident volontairement à comprendre encore davantage les maladies et les effets des médicaments afin de nous permettre d’aider au mieux les futurs patients. Le traitement scrupuleux de ces données est ici primordial.

Nous entendons régulièrement parler de l’augmentation des coûts de la santé. Comment la médecine personnalisée les influence-t-elle?
C’est encore difficile à dire. Pour les groupes de patients, cela concerne actuellement souvent de très petits groupes pour lesquels il faut encore réaliser des études cliniques fastidieuses afin de déterminer le traitement optimal. A long terme, nous pourrons néanmoins faire baisser les coûts grâce au traitement individualisé, puisque l’expérience croissante nous permettra de faire l’économie de nombreuses études et donc de gagner du temps et de l’argent. Si l’approche personnalisée s’impose, de nombreux médicaments deviendront superflus, car le bon traitement fonctionne rapidement.

Qui profitera le plus de la médecine spécialisée dans 10 ans?
Les patients. Ces dernières années, les différents types de cancers nous ont permis d’apprendre beaucoup de choses sur le patrimoine génétique et le choix des médicaments appropriés. Nous voyons à quel point cela profite au patient lorsque le meilleur traitement est choisi personnellement pour lui et qu’il apprend à mieux comprendre sa maladie. Cette approche sera aussi étendue à d’autres maladies, par exemple aux maladies chroniques auto-immunes qui font l’objet de ma recherche. 

 

Marianne Manchester Young est Head Protein, Metabolite and Cell Sciences (PMC) de la division Pharma chez F. Hoffmann-La Roche. La biologiste a obtenu son doctorat à l’Université de Caroline du Nord et a enseigné plusieurs années à l’Université de Californie à San Diego.

 

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